Quelque part après le bac et entre quelques études universitaires éteintes (c'est le contraire de brillantes), je me suis regardée dans la glace et je me suis dit (outre le fait que je me trouvais plutôt pas mal): "Bon alors ma fille, t’as pas l’impression que tu serais mieux ailleurs qu’ici ? Dis la vérité, et ne te dérobe pas".

Je me suis établie à Santa Monica, plus d’un an, à faire la serveuse dans divers bars à Venice Beach. J'ai même chaussé des rollers pour servir des hamburgers dans des drive-in. Et le soir venu il m’arrivait de faire danseuse dans des boîtes pour accompagner des groupes de disco. Et quand il me restait du temps dans cet agenda surchargé, je faisais des shows sur la 3rd Street de Santa Monica, des saltos arrière, des grand-écarts, pour gagner quelques piécettes et pouvoir payer le loyer de la maison que je partageais alors avec une brésilienne et une israélienne. Elles étaient gentilles, chaleureuses, mais plutôt portées sur la Capoeira et le Krav-maga. Mais bref, un jour que je faisais mes acrobaties sur la 3rd, la police passa et pour une fois, ils m’arrêtèrent, me passèrent les menottes. Ils voulaient m'embarquer sous prétexte que je n'avais pas le droit de faire mon show, qu'il fallait une licence. Et moi, à part la IV je n'en connaissais aucune autre. Ce qui était inquiétant là-dedans, c'était que je n'étais plus en règle, mon visa étant HS. Mais au moment où le flic me pressait la tête pour me faire entrer à l’arrière de sa voiture, un type le héla depuis l'autre côté de la street. Je ne savais pas qui cela pouvait bien être. Il était plutôt jeune, vingt-cinq ans peut-être, et il avait les yeux rouges comme un Saint-Emilion. Il traversa et s'approcha de nous avec une démarche d'un mec appartenant à un gang de chicanos. Il prit le policier à part, lui susurra des trucs à l'oreille, les deux rigolèrent et le jeune finit par glisser dans la poche du flic une enveloppe ou un sachet, je ne savais pas bien, ce fut furtif (attention allitération). Surtout je me demandais s'ils n'avaient pas convenu de m'emmener dans une déchetterie pour me démembrer. Au lieu de cela, le flic m'enleva les menottes et m'intima de « foutre le putain de camp si je ne voulais pas finir la gueule par terre entre sa godasse et le bitume », tout en crachant un glaviot (et un peu sur ses godillots car il s’était loupé). Mais enfin, peu importait, j’étais libre, libre comme Nelson Mandela, libre comme Kerviel.

Le jeune type qui m'avait libérée me regardait, amusé de me voir si décontenancée. Il avait vraiment un drôle de look pour son âge, un peu bâtard, quelque part entre un membre des Creeps et un jeune homme de bonne famille qui passerait ses vacances à la Baule, le pull sur les épaules et qui jette le bâton à son labrador sur la playa à perta de vista. Au moment où je repartais vers le parking où était garée mon épave motorisée, mon sauveur mal sapé m'appela et me demanda si je ne souhaitais pas qu'il me dépose quelque part. Puis il se reprit, il voulait savoir s’il pouvait m’inviter à prendre l’apéro. Je le fixai un instant, tentant de le scanner, voir s'il serait capable de m'amener dans un gang-bang et que j'y perde ma virginité une trentaine de fois. Mais je pris le risque de le suivre et je montais dans une Ferrari dernier cri surmontée de pneus de 4X4. C'était plutôt très laid, du tuning de bas étage, mais c'était malgré tout surprenant et j'étais curieuse de connaître le lieu où il m'emmènerait. J’avais traversé l’Atlantique pour ce genre d’aventures.
Il n’a pas ouvert la bouche du trajet. Il me regardait en souriant, parfois la route, parfois moi, parfois la route, parfois moi mais surtout pas l’arbre qu’on a failli se manger en plein milieu du trajet.
Finalement nous sommes arrivés dans un manoir fait de briques rouges, situé tout en haut de Bel Air où nous avons été accueillis par un homme, une bonne cinquantaine d'années, les cheveux blancs plaqués en arrière, avec une fossette très prononcée au menton. Il ressemblait beaucoup et étrangement à Dave. Et je ne l’ai pas reconnu tout de suite. Je crois que j’étais très impressionnée d’arriver dans de si beaux quartiers, dans une si belle demeure, avec des gens que je ne connaissais pas. Mais sa voix associée à son physique de vieux bobo beau finit par me convaincre.

J'étais donc arrivée chez Michael "Fucking" Douglas. Le type qui m'avait faite triper dans Basic Instinct, dans À la Poursuite du Diamant Vert, dans Chute Libre, dans Wall Street, dans Le Fugitif (même si ce n’était pas lui dedans). Eh bien le type était là, planté sur son perron, vêtu d’un costume en lin blanc, avec à ses côtés le nain de l'Ile Fantastique qui tenait dans ses mains un plateau sur lequel était disposée une famille de Daïquiris.
Michael « Fucking » Douglas me mit de suite à l’aise en me tendant un drink rafraichissant. Il me dit en Français qu’il adorait la France, Charles de Gaulle, Philippe de Villiers et que sa première petite amie était une frenchie.
Une fois qu’il eut fini son histoire qu’il clôtura par les bienfaits du french-kiss, en me passant la main dans le dos, il m’invita à passer au séjour, où je découvris tout un parterre d’invités habillés en soirée de gala. Il y avait des stars de la télé, du ciné, de la Silicon Valley. Il y avait le dirigeant de Yahoo, celui de Lycos, la meuf de Caramail, le gars de MySpace. Un regroupement de sommités dans lequel je n’avais pas complètement ma place. Idée qui me quitta l’esprit au moment où je terminai mon second cocktail. Je venais de passer en l'espace d'un instant d'une bagnole de flic à la demeure d'une super-star.
Celui qui m'emmena ici, me proposa de nous mettre à l'écart, d'aller dans sa dépendance comme il l’appela. Maintenant qu'il avait montré patte blanche, je n'avais plus aucune inquiétude à son sujet. Je le suivis donc au fond du vaste jardin où se trouvait effectivement ce qui ressemblait à une maison de gardiens. Mais de gardiens de but d’un club de foot. C'était faramineux, fastueux, époustouflant.


Une fois que Cameron eut terminé de me mimer toute la ménagerie du zoo de Vincennes, il m'invita à repasser dans la maison principale de Michael "Fucking" Douglas.
Il n'y avait plus personne, toute la faune avait disparue. La nuit était tombée, il ne devait pas être loin de vingt et une heure. L'heure pour moi de déguerpir, car je bossais le lendemain matin. Mais Cameron insista pour que je reste dîner, vite fait, un petit truc, pour ne pas que je parte le ventre vide. Il avait raison, ça m'avait creusée sa chicha au kébab. Du coup il m'invita à passer dans la salle à manger où je m'installais autour d’une table en bois grande comme un terrain de tennis.

J'avais le sentiment d’être une dinde et qu’il allait m’engloutir comme s’il n’avait pas mangé de l’année, il était terrifiant. Et plus ça allait, plus sa chicha me faisait de l'effet, je vacillais debout. Alors, dans un ultime effort avant que mes yeux ne se brouillent et que mes jambes ne se dérobent, j'ai couru vers la grande porte d’entrée, il me suffisait de la pousser, puis d’escalader la grille d’entrée et je serais sortie d’affaire. J'étais bien partie pour y arriver sauf qu'à cette époque, Michael " Fucking sa mère" était encore très sportif et il me plaqua violement à terre comme une vulgaire crêpe suzette. Ma tête rebondit et j’en perdis une dent sur le marbre à 100 000 $ le mètre carré de leur lobby. J'étais sonnée par la violence du choc et par le comportement outrageusement déplacé d’un homme réputé si courtois. Bien que traité pour son addiction au sexe, je ne pensais pas qu’il fut capable de cela sur une femme.

J’étais la captive aux yeux clairs des Douglas et j’appris au fil du temps à l’accepter et à prendre mon mal en patience. Jusqu’à ce jour de 2009 où la police vint chercher Cameron pour l’enfermer dans une prison de haute sécurité pour trafic de je ne sais quelle drogue.
C’est à cet instant que je pus mettre les voiles, quitter la Californie, les Etats-Unis, réintégrer mon pays, mon lit où je me réveillai en plein après-midi, avec une migraine carabinée et un mal de cheveux d’anthologie. Pour me rendre compte finalement que tout ceci, c’était mon esprit qui l’avait imaginé au cours d’un long rêve tortueux certainement provoqué par l’absorption massive du 333, cocktail préféré de Kirk Douglas, surtout au cours du tournage des Vikings dont une partie se déroula en France. J’avais donc voulu me mettre, le temps d’une soirée, dans sa peau en dégustant ce qu’il aimait le plus. Je crois surtout, non seulement aux forces de l’esprit, mais aussi que son breuvage m’avait totalement possédée au point que je l’imaginai être devenu mon papy, mon papy Kirky.