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IN GROLLES WE TRUST

Article du

GOOD MORNING STARSHINE

Je ne serais pas arrivée là si… Si mon cher père ne m’avait pas initiée au monde merveilleux de la chaussure.

J’allais à son bureau comme d’autres enfants allaient au parc les fins d’après-midis, les mercredis, les week-ends. Mes parents n’avaient pas les moyens de m’offrir une nounou alors je naviguais entre les cartons et les boîtes à chaussures. Je me construisais des cabanes, je me fabriquais des donjons avec les cartons. Je m’amusais comme je pouvais au gré des livraisons. Ce fut exactement pareil pour Renaud, mon fils qui m’a accompagnée partout. Dans chaque boutique, chacun de mes déplacements. En Asie, en Normandie. Nous avons véritablement cela dans le sang. De plus je me souviens que mes parents avaient hébergé une cousine à eux qui avait avait fui l’Espagne et son régime d’alors. Une femme incroyable. Une artiste complète et complètement folle aussi mais avec laquelle j’ai découvert des écrivains, des auteurs, des plasticiens, des cinéastes fantastiques. Elle s’était créé un petit atelier dans la placard à balais de notre appartement et elle y confectionnait toutes sortes de choses : des poupées, des automates, des éléments de décor. Elle passait son temps à créer et je lui servais parfois d’assistante. J’ai appris à ses côtés l’amour du tissu et des matières nobles. Elle n’était pas facile et même parfois très dure, mais j’ai appris une certaine rigueur à ses côtés et la poésie. Et puis un jour elle est partie, sans rien dire, sans remercier. On s’est fait du souci et puis on a appris qu’elle était partie au Canada, chez un autre cousin. Elle s’était mise à concevoir des manèges à sensations fortes et à grande vitesse dans la ville de Vancouver.
Patricia Blanchet

Vos parents fréquentaient beaucoup le milieu intellectuel parisien de la grande époque. En avez-vous profité ? Qu’est ce que cela vous a-t-il amené ?

Le milieu intellectuel parisien me passionnait. Mais celui des années 20 et des années 30. Je me suis beaucoup documentée à ce propos. Par contre celui qui venait chez moi ne m’impressionnait pas beaucoup car ils étaient des proches. C’était comme des tontons, d’autres des tatas. Ca discutait situationnisme mais je n’y comprenais pas grand chose quand j’étais petite. Je me souviens tout de même que je me couchais très tard, bercée par les volutes de fumée et les effluves de whisky.
Patricia Blanchet

Vous avez été diagnostiquée surdouée à 12 ans. En quoi cela a-t-il affecté votre adolescence ?

Mes parents étaient préoccupés parce que je passais plus de temps à regarder ce qui se déroulait dans la cours de mon école qu’à écouter en classe. J’avais du mal avec l’enseignement. C’était lent et fastidieux et je rêvais déjà de travailler et de dessiner mes premiers modèles. Mes parents m’ont donc emmenée chez des psys et m’ont fait passer toute une batterie de tests au sortir desquels j’avais été diagnostiquée à part. Du coup j’ai sauté une classe et surtout cela a rassuré mes parents qui croyaient que j’étais inapte à l’école et à peu près à tout le reste. Je l’étais d’une certaine façon.

Quel a été le premier regard bienveillant posé sur vous ?

Ma grand-mère sans aucun doute. Je l’ai très peu connue car elle s’en est allée alors que j’étais très jeune mais elle me guidait sans cesse dans mes croquis, mes dessins de robes et de vêtements. C’est par la suite que je me suis mise à appliquer cela à la chaussure. C’était un travail plus méticuleux et compliqué mais quand m’y suis mise, j’en ai découvert des joies de création très intenses.

Quand avez-vous compris que vous alliez monter votre marque ?

Quand j’en ai eu marre me mettre à disposition mon savoir pour les autres. Il était question d’émancipation. Je travaillais avec mon mari et j’avais besoin de prendre un peu d’air et surtout de me prouver à moi-même que j’avais les ressources nécessaires pour monter ma propre marque avec la vision qui en découlait.
Patricia Blanchet

Et cela a tout de suite été simple instantanément ?

Oh non j’ai débuté vraiment à tâtons sur la pointe des pieds, de peur de déranger. Je ne voulais qu’une chose, un éclat de joie et de couleurs. Alors j’ai tenté de me faire une timide place auprès de mon mari, soutenue par Renaud. Ca a été un peu compliqué au début et il a fallu se battre.    

Si vous deviez recommencer, vous referiez tout à l’identique ?

A peu de choses près que je commencerais plus tôt cette aventure.

Et pourquoi donc ne pas l’avoir fait plus tôt donc, à l’époque ?

C’est une bonne question. Mais je crois que je n’étais pas prête à me dévoiler, à exposer mon travail. Ce n’est pas anodin de le faire. C’est une question de timing. Et il faut toujours garder un œil sur le cadran de la montre.

L’on dit souvent que vous avez réinventé le glitter. Parfois même que vous l’avez inventé. En tout cas vous avez su lui donner vie de façon si gracieuse que vous semblez vous être approprié la matière.

Oh c’est gentil. Je l’ai juste utilisée comme je l’entendais, de façon très simple et épurée. C’est ma grand-mère justement qui la première m’avait toujours intimé à pousser le curseur toujours un peu plus loin. Ne jamais hésiter à s’exprimer comme on le veut. Chercher au fond de ses tripes et de son âme quelle est la façon la plus juste de dire les choses. C’est en étant la plus juste possible sur son expression que l’on peut laisser le doute s’installer.

Vous avez souvent été approchée par le cinéma. J’ai entendu dire que le remake de Barbarella avait fait appel à vos talents ?

Oui c’est vrai. Mais la production a été mise en pause. Je crois qu’il y a eu des problèmes de droits. Du coup c’est reporté. Nous sommes souvent appelés pour des pièces, des films des séries. Il est très rare que nous répondions positivement aux demandes cars nous n’en avons pas le temps.

Ce père si présent, si important, que vous a-t-il le plus apporté ?

Il m’a donné l’envie de continuer et de porter ses efforts, les transformer. Une certaine rigueur et le respect d’autrui. Il me racontait beaucoup de choses sur sa vie, ses déplacements. Il pouvait parler des nuits entières non-stop sans jamais raconter deux fois la même chose. Je ne sais pas comment il a fait avec une seule vie pour faire tout ce qu’il a fait. Forcément cela m’a poussé à une vie nomade, à voyager, découvrir, rencontrer. Forcément, ça forge. Et puis l’amour du travail bien fait. Je l’ai toujours vu travailler d’arrache-pied pour donner le meilleur de lui-même. Il ne s’arrêtait jamais.
Patricia Blanchet

Que faut-il attendre de vos prochaines collections ?

Un renouvellement mêlé à de la continuité. De la continuité avec une Fifty-Five lumineuse, de la paillette soyeuse, une Gaby chaleureuse. Et puis un renouvellement de forme avec de nouvelles hauteurs de talons, des bouts plus fins, des nouvelles illustrations sur les chaussures. Je suis très heureuse et très excitée à l’idée de montrer tous ces nouveaux modèles car je pense que cette nouvelle collection sera surprenante, vivifiante et amusante. Ce qui compte pour créer des chaussures c’est de s’amuser en le faisant car c’est le meilleur moyen de parvenir à faire quelque chose de gai et de créatif et qui plaira.    

Que peut-on vous souhaiter pour l’avenir chère Patricia ?

La même chose qu’à tout le monde sur cette planète. De la sérénité, de la joie. Et en abondance.
Propos recueillis par Thierry Troyat de l'Académie Française ©
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