LA VÉRITABLE HISTOIRE DE L'ALEXIA
Et pourquoi vous pleurerez toutes les larmes de votre corps après l'avoir lue
Quand j'étais petite, je n'étais pas grande. Je montrais mon cœur à toutes les passantes. C'est de cette façon que je me suis aperçue que j'étais un brin émotive. Pour un oui ou pour un non, je vidangeais émotionnellement quand j'étais jeune. Je miaulais pour un oui ou pour un non. Mais à l'époque, cela me plongeait dans une transe de tristesse inexorable. J'étais donc ce petit être fait de larmes et d'espérance.
C'est au cœur de ce maelström d'émotions que je débarquai à l'école élémentaire Étienne Dolet, propulsée là-bas par des parents désireux de me laisser en banlieue, chez une nourrice, pendant qu'eux restaient à Paris pour continuer leurs ébats et sortir tranquillement dans leurs bars afin de faire la fête, jouer au baby-foot et à Space Invaders, tout en buvant de la 33 Export.
Ma nounou était sympa, mais son mari jouait souvent au morpion sur mon petit corps avec son fer à souder, quand il ne me coiffait pas avec son râteau de jardinier. Je n'étais pas bien considérée, mais c'était peut-être mieux que d'être livrée à moi-même. Malgré tout, je préférais être le souffre-douleur d'une famille de substitution plutôt que de me rendre à l'école. Cette école était un ring géant à ciel ouvert où régnait la loi du plus fort. À cette époque, je ne croyais pas en la violence. Je me suis donc fait déborder très rapidement par les leaders, les costaudes qui réglaient tout à coups de manchons, de balayettes et autres humiliations physiques.
Nous sommes en 1983, avec déjà deux années d'une droite déguisée en socialisme des alpages. Cette année-là, je ne jurais que par une chose : la musique de Michel Legrand, et plus particulièrement celle de Peau d'Âne, qui m'enivre et me permet d'affronter une réalité bien compliquée à encaisser. Je rêve de romantisme, de romanesque et d'une grande histoire d'amour. Mais tout le monde cherche à me nuire ou à me tuer dans la cour. Je passe mon temps à éviter les jets de pierres, de petites voitures, les crachats ou à répondre à des insultes dignes de camps d'entraînement afghans. Je fais ce que je peux pour passer entre les gouttes et je me construis une carapace doublée d'une cape d'invisibilité.
C'est au milieu de ce champ de bataille que je la vis arriver en cours d'année. Elle n'était pas comme les autres, assurément. Elle était douce, et surtout, possédait un magnifique visage ainsi qu'une peau pareille à une manette de PlayStation. Son prénom : Alexia. Son plus grand atout : sa grâce de mouette des Carpates. Son origine : l'Arménie, la terre d'Aznavour, mais aussi, et surtout, de Cher, ma bestie, mon modèle.
Cette Alexia était, comme moi, une anomalie au milieu de tous ces animaux, de ces monstres. Je ne le savais pas encore, mais Alexia allait être mon premier amour gay. Mon premier amour, tout court. Le plus pur, le plus insensé, le plus dingue et digne de toute mon existence. Nous avons réussi à nous créer un dôme protecteur à l'intérieur duquel nous nous embrassions goulûment et sans retenue. Nous nous sommes quittées, séparées par nos changements d'établissements. Elle sait où je suis, que je suis devenue la « queen of grolles ». Moi, je n'ai aucun moyen de la contacter, alors si jamais vous connaissez cette personne hors du commun, je quitte mari et chien.