LA VÉRITABLE HISTOIRE DES CAPTAIN LOVE
On me demande souvent d'où vient ce nom merveilleux que j'ai attribué un jour, à l'une de mes plus belles créations, la bien nommée Captain Love. Tout démarre en l'an 19.. lorsque mes parents, alors en pleine époque hédoniste/échangiste, n'avaient absolument aucune idée de comment s'occuper de moi à part m'envoyer en colonie de vacances dès qu'ils le pouvaient.
C'est ainsi qu'en fin de classe de sixième je fus catapultée au-delà de la Manche, à Brighton pour mon premier séjour chez la Perfide Albion, là où l'on mange son steak avec de la gelée à la menthe me racontait mon cousin Gontran pour me terroriser (I hate you Gontran). C'était la première fois que je quittais la France, la première fois que j'empruntais un Ferry et que je me rendais sur une île.
Je fus placée dans une famille de dix enfants et je partageais un espace dans le sous-sol de la maison avec cinq autres collégiens étrangers, dont la plupart en provenance de Corée du Sud, ainsi que quelques rongeurs et parasites.
Si aujourd'hui cela m'horrifierait, je dois bien avouer qu'à l'époque je trouvais cela exotique d'autant que mes compagnons de chambrée s'amusaient avec les bestioles comme si elles étaient domestiquées. Ils inventèrent ainsi des matchs de polos avec des cafards montés sur les dos de rats. Nous riions aux éclats et j'immortalisai cela avec mon Kodak Disc.
J'avais cours tous les jours de la semaine dans un collège local que nous partagions avec les élèves anglais toujours à l'école car ils avaient leurs vacances plus tard que nous. Et quelque part au milieu du séjour, un midi, alors que j'étais en train de terminer ma tablette quotidienne de Merveilles du Monde, trois anglais de mon âge, en uniforme, vinrent à ma rencontre pour me demander de les suivre.
Je ne comprenais rien à ce qu'ils baragouinaient mais avec leur gestuelle je saisis qu'il fallait que je les suive. Une haie se forma sur mon chemin, comme si j'étais l'élue et au bout se tenait un petit gars avec les cheveux hirsutes, le visage un peu sale, certainement d'avoir chahuté avec ses amis, les yeux verts en amande et totalement débraillé, d'ailleurs sous sa chemise j'aperçus le t-shirt d'un groupe que je ne connaissais pas encore, les Clash. Celui qui me mena jusqu'à lui m'expliqua dans un français qui valait mon anglais que Peter m'avait choisie parce que j'étais très très jolie et qu'il voulait kiss-kiss une française. Tout le monde s'esclaffa et devant la clameur, Peter me saisit par l'épaule et déposa un baiser sur ma joue, intimidé par le public. Personnellement, j'étais subjuguée par la gueule d'ange rebelle du garçon. Je ne l'avais jamais remarqué auparavant et j'étais extrêmement surprise et flattée que ce soit lui qui me fasse demander.
J'étais sur un nuage le reste du séjour à parader avec le type le plus mignon du périmètre.
Et pourtant, après plus d'une semaine ensemble il ne m'avait toujours pas embrassée sur la bouche. Et je dois avouer qu'étant très timide j'attendais son impulsion. Elle arriva un dimanche que nous nous promenions main dans la main et qu'aux abords d'un pub retentit une musique que je n'oublierai jamais, Wot de Captain Sensible. C'est à cet instant qu'il se décida enfin à poser ses lèvres sur les miennes. Ce fut aussi furtif que bon. Le lendemain j'avais rendez-vous avec lui pour voir le dernier James Bond au ciné. Il ne se présenta jamais et la semaine suivante il m'évita tout du long. Trop timorée pour aller lui demander ce qu'il se passait, je mis ça sur le compte de mon baiser et que je n'avais pas su m'y prendre. Je quittai l'Angleterre triste de ne plus revoir Peter, de ne pas avoir pu l'embrasser une fois de plus, comprendre la raison de la rupture, de son éloignement. Mais ravie de cette première expérience, de savoir que le plus mignon d'entre tous m'avait choisie, et d'avoir rencontré mes homologues coréens avec lesquels nous avons organisé tant de jeux avec nos amis les bêtes.
Voilà pourquoi après tant d'années je décidais de donner ce nom à cet escarpin merveilleux, star des stars, en mémoire de mes premiers émois.