Y’a un moment dans la vie où tu découvres deux choses en même temps : 1 - Que l’humanité peut être cruelle. 2 - Que le chocolat peut réparer ça. Moi, c’était en sixième. J’avais une trousse Chipie, des jambes trop longues pour mon âge, et une angoisse qui me remontait jusqu’aux sourcils dès que la sonnerie retentissait. La cour de récré, c’était Fight Club version acné et survêtements. Fallait boxer pour une place sur le banc, boxer pour ne pas se faire piquer son pain au lait, boxer pour exister. Et moi, plutôt que de boxer, j’ai mangé.

Pas n’importe quoi. Je sortais du Franprix en face du collège avec un œuf en plastique rempli d’amour. Un œuf tout doré, qui sentait l’enfance et la pâte à tartiner de synthèse. Un Kinedeur (tu vois où je veux en venir).

Je le mangeais en cachette sur un muret, sous un ciel gris et une honte molle. Il y avait ce petit jouet inutile dedans. Mais moi je ne le voyais pas comme un jouet. Je le voyais comme une preuve que le monde n’était pas totalement foutu. Que quelque part, une entreprise avait pensé à mettre une surprise au milieu du sucre.

Des années plus tard, en dessinant des escarpins à bout ouvert un matin de gueule de bois douce, une sensation m’est revenue : celle d’avoir besoin de douceur quand tout fout le camp. Et j’ai compris que ce modèle-là, je ne le faisais pas pour les modeuses. Je le faisais pour la moi de 11 ans, assise sur son muret, en train de lécher le chocolat fondu sur ses doigts tremblants.

La Kinedeur, c’est le câlin que t’as pas eu à la récré. C’est la main sur l’épaule qui te dit “t’inquiète, t’es bien.” C’est le souvenir d’un chocolat de survie transformé en manifeste sensuel. Et aussi, faut bien le dire, une belle excuse pour ne plus jamais mettre des ballerines molles qui sentent la punition collective. À porter sans modération, surtout quand la vie pique.