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FELSON, LA PLUS SUBLIME DES BOTTINES
Quand j'étais en train d'entrer dans l'adolescence, à la recherche d'un moi-même après lequel je cours toujours, est sorti un film qui s'appelle La Couleur de l'Argent et qui était une suite à un film de mille neuf-cent soixante, l'Arnaqueur, déjà porté par Paul Newman et où il était aussi question de queue, de boules et surtout de billard.
Vingt-cinq ans plus tard déboulait cette suite sous forme de film de commande par une branche de Disney pour Scorsese alors en mauvaise posture psychologique, dans la coke jusqu'aux cheveux. Mais même au plus mal, le gars était capable de nous délivrer un film qui en surpasse bon nombre et celui-ci fut pour moi une révélation. Car c'était le second film que je découvrais de son auteur et dans lequel il y avait un Tom Cruise sous contrôle.
Donc je vais au ciné, à la première séance du mercredi sans me douter que j'allais en ressortir toute éberluée, envoutée par l'art du billard. Dès que je revis la lumière du jour, je cherchai à tout prix à me débusquer une Balabushka, la Stradivarius des queues de billard, le top du top, la star du film avec Cruise et Newman. Je n'avais d'yeux que pour cette acquisition. Problème, il fallait trouver deux mille francs et à treize ans, compliqué d'avoir un telle somme. Alors le soir, après les cours, au lieu de filer à la maison lire Zola ou Stendhal, je me suis mise à fréquenter un club de billard situé près de la Place de Clichy. Quand je compris qu'il fallait, au minimum, avoir la majorité et être de préférence un mec, je me suis grimée pour paraître plus vieille et je mis ma poitrine en avant afin que le type à l'entrée ne fasse pas d'histoire pour m'y laisser entrer. A l'intérieur, je pris mes marques en observant attentivement les gens qui y jouaient. Il y régnait une ambiance de monastère l'après-midi avant de glisser, à partir de dix-neuf heures, vers quelque chose de plus détendu, aidé par les demis de bière qui se servaient par dizaines.
Un jour qu'un partenaire de jeu ne se présenta pas à un rendez-vous, l'un des joueurs me tendit une queue afin que je fasse enfin mes preuves. Il y avait de l'argent en jeu. Argent que je n'avais pas, qu'il m'avança et que je perdis. Je fis de même pendant un mois. C'était des petites sommes et je racontais à mes parents que c'était pour me payer mes oursons au chocolat. Quand les joueurs furent habitués à me voir là tous les jours et que je leur démontrai que je pouvais faire un bouche-trou tout à fait honorable, je fus acceptée à toutes les tables et c'est là que je me suis mis mise à parier plus lourdement. Ils ne se doutaient pas que j'avais étudié minutieusement les angles adéquats pour rentrer toutes les boules et que j'avais usé toutes les bandes VHS des compétitions mondiales du billard afin de pouvoir les battre à plate couture. Je déchirai les enveloppes de mes anniversaires et de mes Noëls passés pour pouvoir parier toujours plus, dans mes limites et en arrivant au dernier sou pour mettre enfin mon arnaque en place, en déployant un jeu clair, limpide, propre, comme Eddie Felson. Malheureusement mon plan ne put jamais correctement marcher car plus je jouais juste, mieux ils jouaient et je perdis toutes mes économies. Plus une partie de celles de ma soeur et de mes parents. Jusqu'au jour où je tentai le tout pour le tout en misant une somme folle que je perdis et qu'il fallut payer sur la champ. N'ayant plus un radis, mon adversaire me ramena jusque chez moi et exigea à mon père, dépité, tout l'argent que je lui devais sinon il me couperait les deux mains. Après cela, je fus interdite de sorties durant trois ans jusqu'à ce que je trouve un mari qui veuille bien m'épouser pour me sortir du bunker familial.
Voilà pourquoi, cette magnifique bottine se nomme Felson.