Article du
MISEROUILLE
Je vais vous faire une confidence, l'année dernière, j'ai vécu un passage à vide, un truc qui m'a mise à plat. Entre crise de la quarantaine, nécessité de me raccrocher à du concret et donner un sens à ma vie, je me suis vraiment demandée si j'étais sur les bons rails. Mais il fallait avancer et je décidai de remettre mes questions à plus tard.
A chaque fois que je prépare une collection, je pars m'isoler dans un lieu que je ne connais pas, à le recherche de nouvelles inspirations, vibrations. L'année dernière, fin juillet, je décidai de prendre la route, seule, en descendant vers le sud. Il faisait une chaleur comparable à celle que nous connaissons actuellement. Je n'avais pas de clim dans ma voiture alors je suais à grosses gouttes. Tant et si bien qu'à force, ma sueur obstrua ma vision et elle me fit faire un tonneau alors que j'étais en train de traverser une forêt du Loir-et-Cher.
Je fus recueillie par un homme bedonnant, barbu. Il m'installa au rez-de-chaussée de sa maison, perdue au milieu de nulle part, dans une chambre douillette. Il s'occupa de mon bras et de mes côtes cassées. Il me préparait des bouillons délicieux, des jus à base de fruits exotiques jamais goûtés. Il s'occupa de moi comme aucun homme auparavant. Il me mettait mes séries préférées. Il m'écoutait me plaindre et raconter mes histoires de coeur et de cul. Il riait à mes blagues pas drôles et j'en faisais très souvent. Il lui arrivait de partir toute la journée me laissant seule et il revenait le soir avec les bras chargés de fringues qu'il m'offrait. Et il ne voulait pas de sexe, en contrepartie, il me l'assurait. Seul l'intéressait mon bien-être et que je me remette vite des vilaines blessures infligées par ma sortie de route.
Je lui ai demandé de prévenir ma famille de ma soudaine disparition mais toutes les lignes étaient coupées et le signal était inexistant dû aux trop fortes chaleurs qui avaient fait fondre toutes les antennes relais. Il n'y a plus rien qui fonctionnait, plus d'internet, plus de radio, plus de cibie.
Heureusement il vivait dans un coin perdu dans le centre de la France, en pleine forêt, sur l'ubac d'une petite montagne qui permettait une relative fraîcheur étant donné le climat apocalyptique qui régnait. J'étais vraiment inquiète que ma famille se fasse un sang d'encre et je me sentais en même temps coupable d'être aussi bien chez cet inconnu au physique si compliqué.
Il se prénommait Casimir et il était infirmier alors il m'aida à la rééducation de mon bras. Au fur et à mesure de nos séances, je lui expliquais qui j'étais, ce que je faisais. Et quelle ne fut pas ma surprise lorsqu'il me coupa net pour me faire monter dans sa chambre. Là il ouvrit son dressing pour me laisser découvrir tout un tas de chaussures dingues, colorées, scintillantes, les miennes : des Patricia. Ce type que je ne connaissais pas avait absolument toutes les chaussures que j'avais créées depuis les débuts de la marque, c'était phénoménal et très surprenant à la fois. Je lui demandai donc où était sa femme ou tout du moins celle à qui toutes ces paires appartenaient. Il me fixa puis partit dans un rire sardonique. Elles étaient toutes à lui et ils les avaient toutes achetées méthodiquement en s'assurant qu'aucune ne lui passait sous le nez. Il avait la passion du talon.