Article du
SPRINGBREAKER, SHOE DE L'ÉMANCIPATION
Alors que mes parents étaient occupés à se déchirer sur la suite à donner à leur vie, je pris à dix-huit ans, les choses en main et je décidai de parfaire mon anglais en partant un trimestre en Californie avec l'argent que j'avais gagné en vendant des fromages sur le marché du Boulevard Richard Lenoir, près de Bastille.
Je suis arrivée à Santa Barbara en fin de second trimestre, déçue de n'y apercevoir aucun comédien de la série fétiche de mon enfance malgré mes nuits d'errance à tenter de les retrouver. Passée la déception je pris mes quartiers dans une des piaules d'un des deux dortoirs du campus que je partageai avec une gothique, piercée de partout. Elle s'appelait Tiffany mais voulait que je l'appelle Thomas. Elle passait son temps sur sa pipe à fumer de l'herbe, à discourir sur la possibilité d'une île, et à croquer tous les gens de l'université. Elle voulait faire de la BD, entrer chez Marvel, dynamiter tout ce qui avait été fait jusque présent et proposer une super-héroïne gay, tatouée de partout qui passait son temps à fumer des pétards et à secourir les gens non pas par la force physique mais par la persuasion, en devenant, en somme, une super-psy qui officiait non pas dans un bureau, ou qui recevait sur un divan, mais comme ça, dans la rue, dès qu'elle apercevait une âme en bad. Elle me sembla froide, distante, hautaine, mais elle se révéla une toute autre personne dans les faits et elle m'invita à faire partie de sa bande resserrée de "potasses", celles avec lesquelles elle avait monté un groupe de musique. Les deux autres étaient tout aussi étranges pour le regard d'une petite parisienne dont la seule aventure avait été de passer quelquefois sur la rive droite.
Elle me prirent sous leur aile et m'invitèrent à toutes les fêtes pour me présenter à leurs copains, que je puisse prendre mes marques et me sentir à l'aise loin de chez moi. Alors quand arriva le fameux Springbreak, moment de fête au cours duquel les étudiants américains décompressent en faisant n'importe quoi avec l'argent des parents, elles me proposèrent de les accompagner au Mexique pour une virée mémorable. Nous partîmes le lendemain dans le combi Volkswagen bleu ciel au toit blanc de Laura, la batteuse du groupe, direction Cabo San Luca, à vingt-six heures de là où nous nous trouvions. Elles embarquèrent avec leur matériel: guitares, micros, instruments de percussions et quelques champignons hallucinogènes pour nous aider à raccourcir le trajet au cours duquel elles composèrent et jouèrent tout un tas de chansons revendicatrices, drôles, tendres ou loufoques. Puis, aux alentours de San Felipe, un jeune mexicain beau comme Zapata (joué par Brando) faisait du stop sur le bord de la route désertique où soufflait un vent à sortir son char à voile. Devant la beauté du gars, il était inconcevable de le laisser au milieu de nulle part alors que nous pouvions le déposer à quelques kilomètres. Il monta et sortit instantanément, non pas ce que vous croyez, mais son harmonica pour accompagner les filles jusqu'à ce que nous le déposions à sa maison, qui avait l'apparence d'une petite ferme agricole où quelques carcasses de voitures stationnaient en plein soleil dans le jardin.
Pour nous remercier, et puisque la nuit allait tomber il nous proposa de rester nous reposer. Une heure ou deux, la nuit entière si nous le désirions. Nous avions un peu de temps devant nous et même si la maison semblait un peu insalubre, nous pouvions, au pire, dormir dans la camionnette, sur sa propriété. Il nous invita à connaître chez lui et sa famille et nous proposa donc de passer à l'intérieur, toutes les quatre, nous offrit une orangeade pour nous désaltérer, puis quand cela fut fait, il passa aux choses plus corsées en nous faisant goûter un mezcal de sa fabrication. Juan vivait avec ses parents, ses frères, soeurs et son grand-père mais ils étaient tous actuellement au village pour une fête des morts. Il disparut de son jardin et en revint avec une poignée de ganja sidérante, d'un vert chatoyant et dont le coeur était fuchsia. Rien que sa vue me fit trembler et je passai mon tour lorsqu'il me proposa d'en tirer une latte. Malgré cela, les vapeurs suffirent à me provoquer rires, haut-le-coeur, puis somnolence. A mon réveil, hagarde, j'ouvris les yeux sur Juan qui me passait une éponge sur le front en me disant, en espagnol, de ne pas m'inquiéter, que tout était sous contrôle, qu'il s'occupait de moi. Puis il tenta de m'embrasser sur la bouche mais je tournai le visage et tentai de lui décoller une droite. Mais ce fut impossible et je me mis à crier tant la douleur qui m'envahit était intenable. Mes bras, mes poignets étaient liés au fauteuil à l'aide de fils barbelés qui m'entaillaient la peau. Plus je les bougeais, plus je souffrais et plus j'entendais des rires sardoniques se moquer des blessures que cela m'infligeait. Je découvris alors que j'étais en bout de table face à la famille de Juan qui se délectait de me voir paniquer, ne pas comprendre pourquoi j'étais attachée, à demander où se trouvaient mes amies. Je ne parlais pas bien l'espagnol mais suffisamment pour comprendre que si je continuais à me débattre, il allait resserrer la pression des fils à m'en broyer les chairs. Puis Juan fit rouler, dans sa chaise, son grand-père jusqu'à moi. Il me regarda, me scruta comme un coffre-fort que l'on regarde sous toutes ses coutures avant de le faire sauter. Il me sentit comme si j'étais du rosbif, puis il se mit à me passer sa langue sur tout le visage en émettant des sons de bête en rut. Horrifiée par son haleine de fromage à raclette à l'ail des ours, je m'évanouis.
Je fus réveillée au son strident d'une tronçonneuse qui vint éclater mon tympan par derrière alors que j'étais plongée dans le noir, les yeux bandés et bâillonnée, ne pouvant émettre le moindre son, j'étais prise au piège comme une mignonne petite libellule entre les dents d'une plante carnivore. Je pensai une dernière fois à mes parents que je ne verrai malheureusement pas divorcer. C'est à cet instant que j'entendis la voix de Thomas, ma coloc, qui vint couvrir le son de la tronçonneuse. Au début cela ne fit qu'attiser la fureur du monstre qui semblait tenir l'outil mais rapidement Thomas sut trouver les mots pour le calmer en lui parlant de sa mère et de la relation qu'il entretenait avec elle. Elle prit le temps de lui demander des nouvelles de son Oedipe, où en était-il? Alors le type s'effondra et se mit à pleurer abondamment. Les autres filles vinrent à mon secours pour me détacher et sur la pointe des pieds nous repartîmes dans le combi Volkswagen direction le Springbreak. Arrivées sur place, nous nous sommes rendues chez un des potes de la bassiste qui avait loué un deux pièces où il devait nous loger. Difficile pourtant de croire que nous pouvions dormir dans ce chaos, au milieu des bouteilles et de tous ces gens en transe qui dansaient sur les Sonic Youth. Pourtant le mec nous demanda direct de l'argent si nous voulions dormir ici. Nous avons préféré le garder et aller dormir dans le combi ou même sur la plage. Et c'est ce que nous fîmes, avec quatre sacs de couchage, un gros sac d'herbe, leurs instruments, nous nous sommes mises au pied des falaises et nous avons passé la semaine loin du tumulte à s'amuser toutes les quatre à observer les plus beaux levers de soleil au monde. La nuit nous étions témoins des tortues qui venaient pondre leurs oeufs dans le sable. Je devins d'ailleurs marraine d'un bébé tortue que je revois de temps à autres quand il m'arrive de revenir au Mexique.
Voilà pourquoi je décidai en début de saison de nommer la merveilleuse mi-botte Springbreaker.