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SUR LES TRACES DE MON PREMIER ORGASME
Seule au milieu du parking, dans la corvette blanche, intérieur cuir rouge, de mon futur-feu-époux, j'appelais à l'aide pour qu'une âme charitable vienne lui administrer les premiers secours. J'entendais encore un vague râle émanant de sa bouche. Voyant que personne n'arrivait, je me mis à lui pratiquer un bouche à bouche improvisé sur ses lèvres gercées.
Pourtant, je n'étais pas rompue à ce type d'exercice et au lieu de lui redonner un souffle de vie, ma langue se coinça dans son dentier que je dus me résoudre à extirper de sa bouche. Sur ce, des pompiers qui passaient miraculeusement par là, me voyant paniquer, s'arrêtèrent et l'un d'entre eux, hyper musclé, hyper canon, vint tenter un massage cardiaque énergique. Il le fut tellement que ses mains fracturèrent la cage thoracique du pauvre Scott qui mourut sur le coup.
Me voyant totalement désemparée et à bout de nerfs, les pompiers de la caserne 108 du Old Las Vegas me proposèrent de venir y passer la nuit le temps que je me remette de mes émotions fortes. Ils étaient très avenants, voyant que j'avais les deux pieds dans le même sabot. Pendant que Travis, le beau costaud, m'administrait un astucieux massage relaxant, son collègue Bill me préparait une fricassée de champignons achetée au Picard local. Mon bienfaiteur se creusait la tête pour me trouver une solution immédiate à mon problème d'argent. Et après une multitude de coups de fil, il trouva enfin vers qui m'envoyer. Une vague cousine à lui qui officiait à l'autre bout de la ville comme croque-mort. Elle possédait un funérarium et elle cherchait quelqu'un pour l'aider à préparer les défunts. C'était pas fun-fun comme il me dit mais c'était bien payé et c'était à prendre de suite.
Le lendemain je me présentai pour le poste où je rencontrai Rosie, une jeune femme ronde, petite et pétillante, originaire de Porto Rico et qui n'avait clairement rien à foutre du boulot avec lequel elle gagnait sa vie. Elle me mit tout de suite à l'aise et elle me forma toute la journée, m'expliquant comment procéder avec les macchabées, un vrai cours théorique avec diapos à l'appui. Macchabées, c'est ainsi qu'elle les désignait et c'est ainsi qu'elle me demanda de les appeler pour garder toute distance émotionnelle avec des gens que je ne connaissais pas. Elle me demanda de suite de préparer un type, décédé la veille. Sa famille venait dans moins d'une heure pour un ultime au revoir et une brève messe faite ici sur place.
Rosie me laissa avec et fila faire une course au coin de la rue me dit-elle. Si elle m'avait bien expliqué comment préparer le mort, je n'avais pas reçu de formation pratique. Et plus le temps avançait et plus je paniquais à l'idée de faire quoi que ce soit. Alors, dix minutes avant l'heure, remarquant que le type avait une longue et belle chevelure, je pris une décision surprenante.
Celle de lui ébouriffer sa tignasse, le fringuer dans une combinaison noire en latex qui traînait hasardeusement par là, et j'affublais ses mains de grandes paires de ciseaux, provenant du matériel de jardinage de la maison, pour en faire Edouard Aux Mains d'Argent. Mon choix fut payant à plus d'un titre car il s'avère que le monsieur en question était un dingue de ciné et plus particulièrement de Tim Burton. Ravie, la famille me prit dans ses bras chaleureusement et me gratifia de plusieurs billets de cent dollars pour saluer mon audace et d'avoir offert un si joli départ à leur bien-aimé.
Bien plus que l'argent gagné, c'était surtout la joie d'avoir pu en créer, à un moment dur et âpre pour des familles et leur transmettre une image ultime joyeuse et sereine, qui me remplit d'allégresse. Je pris donc à coeur de bien faire mon travail mais en ne perdant pas de vue que j'étais venue aux Etats-Unis mettre la main, ou les deux, sur celui qui me mit en orbite sexuelle, il y a de cela plus de vingt ans.