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LA FABULEUSE HISTOIRE DES MURRAY

Quand nous avons ouvert notre boutique rue Beaurepaire, il y a de cela bientôt sept ans, nous n'avions plus un rond et d'ailleurs, c'est moi-même qui ai terminé les travaux.

Patricia Blanchet

J'ai même fabriqué ma propre peinture, mon propre rouge pour être certaine que je serais la seule à l'avoir mais aussi parce que je n'avais pas les moyens de m'en payer une convenable. Après avoir maintes fois repoussé l'ouverture du shop, dû à des défaillances de fabricants, le 1er Avril, et ce n'est pas une blague, nous avons enfin pu vous accueillir dans la joie, la bonne humeur. Comme nous n'avions pas non plus les moyens d'engager qui que ce soit alors je n'eus que d'autre alternative que celle de me mettre à la vente et ce, pour mon plus grand plaisir. Je fus donc vendeuse de mes propres créations durant près de trois années, un privilège car je pouvais rendre compte sur place de ce qui allait, ce qui clochait, ce qui avait besoin d'être magnifié, corrigé. Un luxe, une incroyable chance qui me permit de m'améliorer rapidement en étant à l'écoute de vous toutes. La boutique se transformait en boudoir, en café pour filles et souvent en cabinet de psychanalyse. J'ai ainsi pu vérifier que j'avais de vrais talents de psy et/ou de confidente, amie pour la vie. Il y eut souvent des artistes, des gens de l'ombre, peu connus ou très connus qui poussèrent la porte de la boutique. Des écrivaines, des sculptrices, des habilleuses, des journalistes, des avocates, des mamans, des chômeuses, des rêveuses, il y eut de tout. J'eus souvent aussi le droit à des garçons qui venaient faire plaisir à leur copine car ils se sentaient connectés avec la marque et ils souhaitaient la faire découvrir à leur moitié.
Patricia Blanchet

Et un jour, en mars 2015, alors qu'il n'y avait pas un chat à Paris car c'était les vacances de ski et qu'il grêlait des trucs de la taille de boules de geisha, qu'on ne voyait pas à deux mètres devant soi, entra un grand gars, fringué comme s'il se rendait au restaurant du club de golf: veste vert bouteille, pantalon blanc, tricot à grosse maille rose. Il avait une partie de son visage tuméfiée d'avoir reçu tant de grêle dessus. Il était plein de flotte, comme s'il s'était baigné tout sapé et il dégorgea, tranquille, sur le béton ciré de la boutique, en me regardant droit dans les yeux, un petit sourire aux lèvres, content de lui. Il me demanda, dans un anglais de far west, un rouleau de sopalin, puis deux, trois, avec lesquels il sécha ses vêtements, avant de les poser un à un sur le radiateur du bureau, situé au fond de la boutique. Il se retrouva alors en marcel et slip kangourou au milieu des chaussures, ce qui ne me dérangeait pas. Il me demanda si j'avais quelque chose à boire. Je lui proposai de l'eau mais il me répondit qu'il en avait déjà suffisamment reçue sur la gueule. Je revins alors avec un whisky japonais, acheté pour boire à l'anniversaire d'une amie le soir même. Je vis ses yeux pétiller et tourner sur eux-même. Il se mit à glapir et à sautiller sur place en frappant dans ses mains. Et c'est quand il ôta son bob que je le reconnus enfin. C'était Bill Murray, Bill "fucking" Murray qui était dans ma boutique, à moitié à poil, en train de siroter tranquille mon whisky. Je lui fondis dans les bras, heureuse d'avoir l'idole de mon adolescence ici-même avec moi. Je commençai à évoquer Ghostbusters, les Wes Anderson mais il posa son index sur mes lèvres et me dit qu'il n'était pas là pour parler de cela. Il s'était juste perdu dans Paris, comme il aimait le faire ailleurs et il est rentré dans la première boutique sur son chemin, la mienne.
Patricia Blanchet

Vers dix-sept heures le déluge cessa enfin et les clientes commencèrent à repousser la porte de la boutique. Bill resta et devant l'afflux, il se mit à m'aider, devenant vendeur. Il faisait n'importe quoi, inversait tailles, couleurs, mais c'était fait dans la gaité tant et si bien que je traversai la rue pour aller acheter quelques bouteilles chez mon caviste pour prolonger l'état de fête. Un peu avant minuit, alors que nous étions toutes ivres, je baissai le rideau pour rentrer chez moi ravie de cette journée, avec Bill qui me suivit me demandant si je ne pouvais pas le loger, en tout bien tout honneur. Il détestait aller à l'hôtel, il pouvait me payer si je voulais. Il me dit aussi que j'étais trop vieille pour lui, que je n'avais rien à craindre. Devant sa bonhommie je ne pus que me résoudre à l'accueillir à la maison. Et comme je lui fis totalement confiance, je le couchai dans mon lit (mon mari n'était pas là) et je revins avec une bassine de pop-corn que nous avons dévoré en regardant l'intégral Louis de Funès avant que je ne m'endorme lourdement un peu avant le lever du soleil. A mon réveil, il n'était plus là et d'ailleurs, il n'avait laissé aucun mot, aucune trace de son passage chez moi. Je partis, tant bien que mal, pour la boutique et me mis en pilote automatique pour passer cette journée sans encombre. Et en début d'après-midi, à nouveau, des grêlons gigantesques commencèrent à s'abattre, commettant les mêmes bruits, les mêmes dégâts que la veille. Et alors que je piquai du nez, la porte de la boutique s'ouvrit avec, derrière un grand type, plein de flotte, habillé comme s'il se rendait au restaurant d'un club de golf. C'était Bill "fucking" Murray qui entrait à nouveau dans la boutique. Tout ceci avait un air de déjà vu et de jour sans fin, ce qui explique aisément, et vous en conviendrez pourquoi, quelques années plus tard, j'ai voulu nommer cette superbe bottine Murray.
Patricia Blanchet

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