
Mon nouveau taf de croque-vie, préparer les morts de façon pop et scintillante, marchait du feu de dieu. Les familles des défunts me commandaient les personnages dans lesquels ils voulaient voir une dernière fois leur être aimé. J'eus le droit de préparer les gens en Michael Jackson, Kurt Cobain, Homer Simpson ou simplement en anonyme, en majorette, en joueur de football. Rosie, la patronne, me payait au tarif minimum mais heureusement je faisais cela avec tellement d'entrain que je recevais de bons pourboires des familles qui me déposaient leurs biftons sous la ficelle de mon string (j'avais pris pour habitude de me mettre en petite culotte et en t-shirt pour recevoir les gens et ainsi dédramatiser la situation).


Derrière la porte, une vieille dame toute rabougrie avec des lunettes rouges et rondes auxquelles il manquait une partie de la branche droite. Elle fumait le cul d'un cigare à l'odeur âcre, qu'elle mâchouillait en même temps. Elle m'accueillit en me demandant ce que je lui voulais, bordel de merde. Je mis du temps à la remettre mais c'était bel et bien la mère de Miles qui avait certainement dû abuser du tabac, du soleil, et des mauvaises tequilas locales ces dernières années. Il m'avait présenté ses parents à l'époque et je me souviens qu'ils me prenaient pour une petite snobe parce que j'étais parisienne alors qu'eux faisaient partie du quart-monde, de cette Amérique oubliée qui vit dans des taudis, à crédit et sans aucune couverture sociale quelle qu'elle soit. Elle ne me remit pas du tout mais me fit entrer pour boire un coca alors que son mari regardait une idiotie à la télévision, vissé dans un fauteuil défoncé aux pieds duquel gisait des cadavres de canettes de bière et de clopes. L'air ambiant qui flottait était tellement vicié, que j'avais peur de le respirer. Après quelques phrases de politesse, je m'empressai de lui demander si elle avait des nouvelles de Miles ?

- Ce fils de pute a filé avec les ronds de pension d'invalidité de son père. Pas étonnant qu'il traîne avec une fille comme vous. Il ne nous a ramené que des problèmes, de toutes les façons, toujours.
Elle finit quand même par me lâcher qu'aux dernières nouvelles il était parti à Palm Springs lever de la vieille et vivre à ses crochets, faire gigolo en somme. Elle continua à se plaindre de son fils et de la vie encore de longs moments et lorsqu'elle s'aperçut que son cigare s'était éteint, elle me demanda cent dollars pour aller s'en acheter une boîte et de l'alcool pour son vieux mari, en attente d'une greffe de poumon, m'apprit-elle. Devant sa détresse et parce qu'il s'agissait certainement de leurs ultimes plaisirs, je lui en donnai cinq cents, de quoi voir venir, quelques temps. Avant que je ne parte, elle me remit une photo d'eux deux posant avec Miles en me disant que si jamais il voulait passer leur dire bonjour, il ne serait pas reçu à la carabine. Puis elle partit en courant à l'épicerie sans se retourner pour me saluer.
