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ÇA SE RAPPROCHE, ÇA SE PRÉCISE, ÇA CHAUFFE, ÇA MOUILLE
Mon nouveau taf de croque-vie, préparer les morts de façon pop et scintillante, marchait du feu de dieu. Les familles des défunts me commandaient les personnages dans lesquels ils voulaient voir une dernière fois leur être aimé. J'eus le droit de préparer les gens en Michael Jackson, Kurt Cobain, Homer Simpson ou simplement en anonyme, en majorette, en joueur de football.
Rosie, la patronne, me payait au tarif minimum mais heureusement je faisais cela avec tellement d'entrain que je recevais de bons pourboires des familles qui me déposaient leurs biftons sous la ficelle de mon string (j'avais pris pour habitude de me mettre en petite culotte et en t-shirt pour recevoir les gens et ainsi dédramatiser la situation).
Au bout d'une semaine sur le sol américain, j'avais pu économiser près de deux mille dollars grâce à mes talents, improvisés, de maquilleuse. C'était suffisant pour continuer ma route à la recherche de Miles. La veille de mon départ, les pompiers m'organisèrent un pot de départ à la caserne. C'était sympa, tous les gens du quartier, même s'ils ne me connaissaient pas affluèrent avec de quoi manger et de quoi (beaucoup) boire. Pour animer la soirée, je l'ai passée, presque entièrement, à faire du pole-dance sur la rampe. Plus je buvais de Budweiser, plus je me découvrais des talents insoupçonnés d'agilité glissant sur la rampe comme une huître dans la gorge de Gérard Larcher. Nous avons teufé jusqu’à l'aube et après cela, je quittai les lieux direction la gare autoroutière pour la Californie où je devais supposément me rendre initialement. Mais Travis insista pour me conduire jusqu'où je souhaitais me rendre. Il n'avait pas à coeur de me laisser zoner.
Nous avons embarqué dans sa Pontiac orange, toujours un peu éméchés avec le soleil dans le dos et beaucoup de chagrin dans le coeur. Nous nous connaissions depuis peu et, si je n'avais pas eu Miles dans le corps, je pense que ce n'est pas le levier de vitesse que je me serais plue à tripoter tout au long de la route qui nous mena jusque Riverside, une bourgade qui se trouvait quelques kilomètres derrière la frontière du Nevada. C'était aussi la dernière adresse connue d'où j'avais reçu son ultime courrier vieux de vingt ans. Travis me déposa, ouvrit ma porte, me prit dans ses bras, me fit décoller de vingt bons centimètres, et me roula une pelle de tous les diables pendant au moins dix bonnes minutes me laissant dans un état proche de l'Ohio (même si techniquement ce n'était pas le cas).
Derrière la porte, une vieille dame toute rabougrie avec des lunettes rouges et rondes auxquelles il manquait une partie de la branche droite. Elle fumait le cul d'un cigare à l'odeur âcre, qu'elle mâchouillait en même temps. Elle m'accueillit en me demandant ce que je lui voulais, bordel de merde. Je mis du temps à la remettre mais c'était bel et bien la mère de Miles qui avait certainement dû abuser du tabac, du soleil, et des mauvaises tequilas locales ces dernières années. Il m'avait présenté ses parents à l'époque et je me souviens qu'ils me prenaient pour une petite snobe parce que j'étais parisienne alors qu'eux faisaient partie du quart-monde, de cette Amérique oubliée qui vit dans des taudis, à crédit et sans aucune couverture sociale quelle qu'elle soit. Elle ne me remit pas du tout mais me fit entrer pour boire un coca alors que son mari regardait une idiotie à la télévision, vissé dans un fauteuil défoncé aux pieds duquel gisait des cadavres de canettes de bière et de clopes. L'air ambiant qui flottait était tellement vicié, que j'avais peur de le respirer. Après quelques phrases de politesse, je m'empressai de lui demander si elle avait des nouvelles de Miles ?
- Pas une seule, me répondit-elle.
- Ce fils de pute a filé avec les ronds de pension d'invalidité de son père. Pas étonnant qu'il traîne avec une fille comme vous. Il ne nous a ramené que des problèmes, de toutes les façons, toujours.
Elle finit quand même par me lâcher qu'aux dernières nouvelles il était parti à Palm Springs lever de la vieille et vivre à ses crochets, faire gigolo en somme. Elle continua à se plaindre de son fils et de la vie encore de longs moments et lorsqu'elle s'aperçut que son cigare s'était éteint, elle me demanda cent dollars pour aller s'en acheter une boîte et de l'alcool pour son vieux mari, en attente d'une greffe de poumon, m'apprit-elle. Devant sa détresse et parce qu'il s'agissait certainement de leurs ultimes plaisirs, je lui en donnai cinq cents, de quoi voir venir, quelques temps. Avant que je ne parte, elle me remit une photo d'eux deux posant avec Miles en me disant que si jamais il voulait passer leur dire bonjour, il ne serait pas reçu à la carabine. Puis elle partit en courant à l'épicerie sans se retourner pour me saluer.