Article du
PATRICIA IS THE NEW STANLEY
Palm Springs c'était vague comme indication mais si je me tenais à ce que m'avait raconté sa mère, je ne devrais pas trop tarder à lui mettre la main dessus. Suffisait de fréquenter les hôtels de luxe, les dancings huppés et les bars à dames âgées pour tenter de le localiser.
Il me fallut emprunter deux bus distincts pour y arriver. Et dans le second, je partageai ma rangée avec un jeune type, James, qui débarquait du Milwaukee pour venir travailler à Palm Spring comme apprenti-cuisto. Il ne savait pas vraiment où il irait demander un emploi, même s'il rêvait secrètement d'être embauché au Parker. Le Parker était son but absolu car c'est là-bas que se réunissait tout le gratin depuis des décennies. Là-bas que Frank Sinatra venait dîner avec Ava Gardner, là-bas que Dean Martin passait ses week-ends à écluser son whisky, là-bas aussi que John Waters et Divine venaient foutre le bordel au milieu des bourgeois.
Toutes ces histoires mythiques, c'était son père qui les lui racontait lorsqu'il rentrait du garage de la base aérienne dans laquelle il officiait en tant que mécano jusqu'à ce qu'il perde son bras tranché par l'hélice d'un bombardier ayant servi en Corée. Depuis l'accident, il était devenu coléreux et abonné au goulot de sa bouteille de gin. Il avait arrêté de raconter des histoires à son gamin et était parti se suicider du haut d'un pont trouvant insupportable la vie sans son bras droit. Mais cela n'avait nullement entaché l'envie irrépressible de James et sa fureur de cuisiner des vivres là où son père aurait été si fier qu'il opère.
Arrivée sur site, après avoir fait mes comptes, je me dirigeai vers le Parker, encourageant James à y postuler mais il préféra commencer dans un fast-food pour se faire la main. Je pensais que c'était typiquement l'endroit où Miles pouvait séjourner pour attraper de la veuve joyeuse. Les chambres n'y étaient vraiment pas données et il ne restait que des suites que je n'avais pas les moyens de payer. Au moment où je quittai les lieux à la recherche d'un autre bus pour m'amener dans un motel plus dans mes moyens, je sentis une main se poser sur mon épaule. Le type à qui elle appartenait m'avait appelée depuis quelques mètres mais comme j'avais un casque dans lequel était diffusé New Order, je ne l'entendis pas. Le type en question c'était Barnabé, le manager de l'hôtel. Je me souviens surtout de son sweat rose et de son pantalon d'un blanc aussi éclatant que ses dents. Ses cheveux poivre et sel gominés à l'huile de friture lui donnaient un genre miamiesque tout à fait exotique. Il s'exprima dans un français approximatif et à l'accent accidenté pour me demander si j'étais intéressée pour venir séjourner dans son hôtel gratuitement le temps que je voulais durant sa fermeture due à la terrible canicule qui s'annonçait. En échange d'une chambre spacieuse, je devais garder les lieux, m'assurer que tout était en ordre et que personne n'y pénètrerait. Je réfléchis quelques instants. Il était question de deux semaines à l'oeil contre un peu de gardiennage. Cela ne m'empêchait en rien de chercher Miles et de m'échapper de temps à autres même si cela était contraire à sa demande et qu'il m'assura que je n'aurai aucune envie de sortir de l'hôtel avec la canicule qui allait s'abattre le lendemain sur la ville. Elle serait impressionnante, longue, et d'une puissance inégalée.
Je me suis prise la chambre la plus spacieuse et celle aussi dans laquelle il y avait deux clims pour faire face au coup de chaud que Barnabé prédisait. Pourtant le jour J, rien, pas de chaleur particulière, au contraire, c'était même venteux. J'en ai donc profité pour me jeter dans la piscine intérieure, extérieure, jouer à la pétanque, lire dans les hamacs. Et en lisant l'autobiographie de Luis Buñuel, je me suis dit, pourquoi ne me mettrais-je pas à écrire la mienne ? Je n'avais pas réalisé Un Chien Andalou, ou tourné Belle de Jour, ni rencontré Hitchcock mais j'avais des choses à dire, je crois, j'étais en pause couple, et j'avais deux semaines à tuer. Je n'avais pas très envie d'écrire à la main et tous les ordinateurs n'étaient accessibles qu'à l'aide d'un mot de passe. Alors en fouillant bien dans tout leur bordel, je finis par tomber sur une machine à écrire, une Adler Universal 39.
J'étais toute excitée à l'idée de raconter ma vie comme un journal intime. Je verrai bien où cela me mènerait. Au bout de mon quatrième jour de garde, arriva la canicule dont Barnabé m'avait parlée. Et avec elle, tous les bruits alentours se turent. Je n'entendais plus ni les oiseaux, partis se planquer à l'ombre, ni les voitures qui passaient au loin, ni plus aucun son de la ville. Comme si elle avait été brusquement désertée, comme si le temps s'était figé. Une ambiance parfaite pour écrire un roman. Plus j'y pensais, plus les idées foisonnaient, me rappelant le jour où j'avais roulé une pelle à Wynona Ryder, ou le gros râteau que j'avais foutu à Beigbeder. Cela ne constituait pas les bases d'un bouquin certes mais c'étaient des anecdotes autour desquelles je pouvais certainement draguer mon récit. Je n'étais jamais allée sur Mars mais j'avais l'impression d'y résider tant je me sentais seule. C 'était un sentiment extraordinaire, j'étais prise d'une liberté dingue. Une liberté qui allait m'autoriser toutes les folies pour ce livre dont je n'avais toujours pas écrit un seul mot au septième jour mais dans lequel j'avais une foi absolue. Après tout Bernard Blier avait bien écrit Buffet Froid en quarante-huit heures.Et au dixième jour, je me mis en condition en installant la machine à écrire pile au spot adéquat, en face de la baie vitrée de ma super suite qui donnait sur un patio ombragé avec, en point de mire, les montagnes du désert. Il était devenu tout bonnement impossible de mettre un pied dehors sous peine qu'il grille comme sur un barbecue.
Alors je restai dans la chambre à prendre des bains, faire des pompes, du yoga, de la méditation, à regarder les Simpsons ou South Park ou des films pour adultes selon l'humeur. Et dès que je me disais que je devais me mettre enfin à écrire, je trouvais toujours une bonne occupation qui m'éloignait de la feuille blanche. Et cela jusqu'au soir, jusqu'au moment où, à la nuit tombée, j'entendis un son inhabituel, sourd, mais présent, étouffé mais proche. Puisqu'il faisait un peu moins chaud sans la présence de soleil, je quittais ma chambre à la poursuite de cette musique des années trente. Et là, dans le bâtiment qui longeait la piscine sur sa droite, je vis la salle de bal éclairée, les tables montées de nappes et de services en porcelaine. Je pénétrai dans l'endroit et ne voyant personne, je m'installai au bar, une peu décontenancée, surprise et tremblante de cette mise en scène inquiétante car non prévue. Là, depuis une trappe du plancher déboula un type dégarni, habillé tel un majordome, d'une veste rouge aux revers noirs. Il s'appelait Lloyd, il était le barman de la soirée, entre autres choses me dit-il. Après m'avoir demandé ce que je faisais ici, il me proposa un cocktail parfait pour les écrivaines, à base de gin, de poivre et d'un ingrédient dont il avait le secret et que beaucoup lui enviaient. Il m'interrogea sur mon besoin d'écrire, sur mon mari, sur mon envie de continuer ou de le quitter. Il me raconta à son tour qu'il avait été marié, qu'il avait quitté sa femme pour un homme et qu'elle était morte de chagrin. Il le regrettait sans la regretter.
Je me réveillai le lendemain, la bouche pâteuse, un mal au crâne olympique malgré l'absorption d'un seul cocktail et la surprise de découvrir que j'avais écrit dix feuillets dans la nuit alors que je n'en avais aucun souvenir. L'étonnement ne s'arrêta pas là quand je m'aperçus en allumant la télé que j'avais dormi deux jours d'affilée. J'attendis le retour de la nuit pour retrouver Lloyd et lui exiger des explications au sujet de la drogue avec laquelle il avait préparé mon cocktail. S'il y avait bien encore de la musique, l'espace était totalement vide cette fois-ci. Il n'y avait ni barman, ni client. Je passai alors derrière le comptoir pour me préparer une mixture aux agrumes avec une pointe de vodka pour me requinquer et retourner au plus vite à mes écrits. Pourtant en relisant ce que j'avais produit, je n'y compris absolument rien. Je parlais au masculin et d'une situation presque semblable à la mienne au cours de laquelle j'étais un père de famille qui acceptait de garder un hôtel en plein hiver avec sa femme et son fils et qui allait en profiter pour écrire son roman. Malheureusement son fils, prénommé Danny, qui avait des dons de médium allait rentrer en contact avec les forces maléfiques qui peuplaient l'hôtel. Surprise passée, je trouvais ça vraiment intéressant ce parallèle avec ma propre vie et je me mis donc à étoffer l'histoire.
La canicule prévue pour durer quinze jours, dura le double, soit le temps nécessaire qu'il me fallut pour boucler le bouquin. Je l'appellerai Brillance et je quittai le Parker soulagée, prête à retrouver mon Miles.